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Florence Reymond / L’erratum, assumé

par Marion Delage De Luget

Chercher une progression autrement que par le perfectionnement, voilà comment Florence Reymond choisit, elle, de se défaire de l’emprise ankylosante des modèles. On pourrait résumer le projet qui a guidé, ces dernières années, l’évolution considérable de sa peinture : tenter d’évacuer la question de la virtuosité. Au contraire, s’attacher à ces vétilles qu’une certaine idée de la bonne forme se donne pour charge de gommer, ces à-peu-près pointés par Arp et dont la correction semble pour d’aucuns garante d’une exécution réussie : ce trait que l’on reprend sans effacer le précédent, cette dégoulinure involontaire que l’on ne supprime pas… Bref l’erratum, assumé.

Florence Reymond multiplie ces « maladresses » comme autant de choix affirmant la valeur qu’elle accorde à la contre-performance. Au raté. Non qu’elle retranscrive le principe d’équivalence « bien fait = mal fait » de Robert Filliou ; si sa peinture n’est pas une entreprise de maîtrise, c’est plutôt parce qu’elle privilégie le jeu – l’écart d’avec la règle, sans cesse renouvelé. Un peu comme chez l’enfant, dont elle cite les tâtonnements inventifs, aussi ces premières conventions que tout un apprentissage normé amendera au profit d’autres : la bande irrégulière, parfois laissée blanche, marquant le ciel de la toile, et à l’opposé la ligne de terre de couleur soutenue sur laquelle s’ancrent et s’étagent les éléments figuratifs.

La peinture de Florence Reymond est une tentative assumée de régression transgressive, elle s’y astreint à travailler des déplacements incessants. Jouant de la confusion fond/forme : faut-il lire les aplats vigoureux marquant les pourtours de caches retirés de la toile, ou les vides auxquels ils donnent forme ? Fini l’essentiel de l’ergon contre l’accessoire du parergon, le cadre et la scène qu’il délimite deviennent des morceaux parfaitement indifférenciés. Tout comme les sources invoquées : sujets indistinctement empruntés au dessin d’enfant (les festons), au vocabulaire de l’artisanat (les riches mosaïques des tapis boucharouettes), et encore ces motifs votifs, ces grandes marionnettes venues d’Inde, ces silhouettes de greniers à grain africains… Dans l’accumulation hétérogène s’abolit toute hiérarchie. Rien n’est plus « haut », ni « bas », seulement un tissu composite d’associations inédites qui viennent reconfigurer la topologie du tableau qui n’est pas, alors, sans  rappeler cet espace matrice chez Lyotard où, par condensation, plusieurs lieux coexistent en un seul.

Cela devient flagrant dans ce triptyque magistral présenté au Creux de l’enfer, Thiers 2012. Sur le panneau de gauche, une gigantesque masse sombre se dresse sur une plage jaune vibrante. A la façon dont est traitée la forme, pourtant, on ne sait plus : pic phallique, grotte utérine, l’un et l’autre pareillement visibles. Formes concaves et convexes d’habitude incompossibles, ici simultanées, provoquant un battement visuel dans lequel la forme bégaie, et se trouble. Puis sur le panneau de droite cette immense caverne, pariétale : l’espace où commence la peinture. Matrice, disait Lyotard ; c’est à cet élémentaire que revient incessamment le travail de Florence Reymond, pour explorer les possibles auxquels ouvre la peinture une fois débarrassée de cette dialectique sclérosante opposant majeur et mineur, meilleur et moins bon. 

Re-chut !

Un texte de Natascha Cucheval

2012

« Chut ! », intimai-je. « Intime-toujours, je n’en ai rien à faire ! » dut penser la chose qui s’était accrochée à mon dos depuis peu, et ne cessait de blablater au creux de mon oreille. Un bref silence avait tailladé sa mélopée diarrhéique avant que celle-ci ne reparte de plus belle. Son chant appartenait au passé, je le sentais. Plusieurs fois déjà j’avais tenté de l’arracher, mais elle s’était dérobée, habile ; et je n’avais d’autre choix depuis des mois que de la supporter. « Tais-toi !», intimai-je brutalement cette fois, agitant encore mes bras dans mon dos pour l’attraper. « Tais-toi toi», répondit-t-elle en écho. Il me sembla alors que je tenais quelque chose dans la main. Je tirai un coup sec. La chose cessa de s’agripper et dégringola de mon corps. J’allais voir à quoi elle ressemblait.

A rien. Deux bras, deux jambes, une tête. Le tout en petit. Je me demandai depuis combien de temps elle me marquait ainsi à la culotte. Soudain je ne sus plus.

Le silence s’était (enfin) installé entre nous. Je l’observai, rose et frêle, les sens à l’affût. C’était dégoûtant. Elle se mit à danser autour de moi, écarquillant ses yeux ronds et grands comme des soucoupes. Et bien qu’il n’y eut rien à regarder auprès de nous, je la vis tomber en pamoison devant un brin d’herbe, presque extatique. A présent, elle convulsait par terre, ç’en était gênant. « Je t’envie l’émerveillement, et ces yeux grands ouverts. Les miens parfois me semblent atrophiés, dis-je. J’ai déjà tout vu, et plus rien ne me surprend.» « C’est un brin d’herbe ! », me lança-t-elle avant de se mettre à dévaler la pente douce de la prairie où je m’étais arrêtée. « Où vas-tu ? », criai-je. « Ailleurs ! ». Et je l’enviai encore. Mes pieds s’enfonçaient dans le sol, lourds comme deux ancres en fonte, tandis qu’elle s’égayait dans la forêt proche que j’avais maintes fois arpentée. Il m’apparut que certaines feuilles d’arbres étaient d’or. Ou était-ce une hallucination ? Tout était hallucination probablement. Je fermerais les yeux et je me laisserais porter. 

La fin d’après-midi pointait son nez et, allongée dans l’herbe, les yeux accrochés aux nuages, je songeais au passé détesté et puant, du simple fait d’être perdu sûrement. La petite chose s’était assoupie à mes côtés, elle se réveillait. « Ma sieste », me dit-elle à regret. Elle sembla déçue d’y avoir perdu son temps. Puis dans un soupir, elle crachota « C’était merveilleux de descendre de toi. Et j’ai vu tant de choses. Des choses horribles aussi. » J’eus alors envie de la tuer.  Car je sus qu’elle allait s’accrocher à moi, de nouveau.

Nous avions repris notre marche. La chose se taisait, elle était fatiguée. La gorge sèche et serrée, j’étais lourde d’elle, mes lèvres brûlaient de questions que je ne savais prononcer. « Qui es-tu ? », murmurai-je finalement - j’étais épuisée de silence-. « Je suis toi !», hoqueta-t-elle. Alors le poids sur mon dos disparu.

Plus tard, je trouvai dans ma main une liste de choses enviables et raisonnables. C’est ce qu’elle avait laissé.

 

Nadège Laneyrie-Dagen

2012

J’ai connu Florence Reymond dans son précédent atelier : un très petit local, encombré  de ces formats de grande taille qui sont la dimension dans laquelle elle se trouve à son aise. Sur les toiles, les formes surgissaient, massives et en même temps délicates, s’arrachant à des fonds colorés traités de telle sorte qu’ils semblaient une peau blessée et réparée. Cernées de boucles qu’elle voulait appliquées et malhabiles, une horizontale dans le haut ou le bas, une verticale sur un ou les deux côtés, réduisaient l’espace peint. Elles formaient, comme on le voudra, une manière de sol, une sorte de ciel, ou une façon de cadre : le regard, en tout cas, se trouvait empêché de se promener à sa guise. Des guirlandes, des lianes, de nues branches d’arbre, des ficelles quelquefois, liaient un motif à un autre : liens ténus dont il semblait que le regard pouvait les briser. La géographie de Florence se trouvait ainsi faite : l’espace déterminé était fait de juxtapositions et superpositions plastiques, il ne prêtait pas au cheminement, plutôt à la tension entre les objets.

Dans l’atelier qu’elle occupe à présent, des formats encore plus considérables recouvrent peu à peu les murs. Ou peut-être les toiles ne sont-elles pas plus grandes ? Mais Reymond a commencé à les associer, les travaillant en triptyques, en polyptiques, un volet faisant un écho à un autre : contrepoints qui transforment les tableaux en répons.

 

Dans ce nouvel atelier, Reymond pense et procède aussi par couleurs, expérimentant des séries. Les teintes qu’elle choisit font écho à un imaginaire, elles suscitent des motifs ou plutôt une manière de les traiter, et se trouvent associées à des dimensions particulières. Ce que l’on a envie de nommer l’“ensemble noir” est fait de toiles carrées ou presque carrées, qui ne sont pas conçues pour être associées à plusieurs. Dans ces quadrangles équilatéraux, espaces réguliers et contraints, les dentelures alignées, les façons de bordure demeurent. Châteaux cernés de blanc ? Bijoux textiles ou parures bouddhiques ? des formes que l’on peut décrire aussi comme des géométries - cercles, triangles aux sommets acérées – lévitent sur un fond sombre que structurent et animent des rectangles de couleur. Jamais d’horizon dans ces toiles, mais des coulisses ou des écrans que, l’espace serait-il réel, le regard imagine disposés à la verticale. Les objets se distinguent de la profondeur apparente, mais les plages colorées qui constituent cette profondeur se détachent à leur tour sur des pans de couleur. Dans une toile, des lignes – du rouge sur le noir - cantonnent une fenêtre de blanc, tableau second ainsi mis en abyme. Centrés dans cette fausse ouverture qui ne feint pas d’en être une, des tracés d’un beau bleu, une traînée brune, un peu de rose, esquissent un motif : une montagne peut-être, à moins que ce ne soit l’image d’un bûcher funéraire. Le resserrement du cadre a le même effet que les rectangles chromatiques dans les autres tableaux. Il contraint l’œil à s’enfoncer, alors même que l’artiste a renoncé aux moyens perspectifs. Introspectus : regarder à l’intérieur. Les “peintures noires” de Reymond – on assumera finalement la référence à Goya – incitent à l’introspection. Elles forcent le spectateur à une quête vers des strates profondes. La descente dans la toile est une avancée vers un univers  onirique.

 

Les peintures à tonalité sombre ne sont pas les plus nombreuses dans l’œuvre de Reymond. Plus souvent, des jaunes éclatants, des roses qui évoluent vers des mauves, des bleus aux nuances variées, quelques verts (bronze, véronèse ou tons d’amande et de pistache) couvrent presque entièrement la toile. Cette fête des couleurs, que les peintres d’aujourd’hui osent si rarement, n’est pas la moindre qualité de ses tableaux. Les formats sont toujours considérables, mais la forme des toiles, dans les séries aux couleurs claires, est différente. On verra au Creux de l’Enfer un hexaptyque : dispositif à six panneaux, chacun de même taille, considérable, et d’orientation verticale. Et un vaste triptyque, où Reymond se hasarde à des différences de mesures : une des toiles est haute et les deux autres plus basses. Dans ces ensembles qui forment de larges surfaces, les motifs trouvent leur pleine mesure. Ils ne se serrent plus l’un contre l’autre, ne se juxtaposent plus étroitement. Ils ne se recouvrent ni ne s’entrechoquent plus. Mais ils s’épanouissent, occupent la place qu’il leur faut, dans un espace qui est à leur mesure. De cette dilatation résulte une impression nouvelle : de la joie peut-être, une sérénité - relative – tout au moins.

 

Les motifs de Florence Reymond sont les mêmes depuis plusieurs années. Ils constituent un vocabulaire formel qui n’appartient qu’à elle. Chacun d’entre eux renvoie à un objet : on dirait - à une source. Mais chacun est traité d’une manière telle que la référence à cette source s’estompe, plus ou moins selon les cas. Discordances d’échelles, superpositions de couches et brillances qui attirent l’œil en dépit des motifs, simplifications jusqu’à la quintessence, recours à une géométrie adoucie, échos plastiques quand une forme rappelle une autre forme : ce sont quelques-uns des moyens par lesquels Reymond   brouille ce qui serait sinon une représentation. Non qu’elle veuille dissimuler ce qui la nourrit – ces éléments de la réalité qui font qu’elle peint – mais parce que la peinture, précisément, n’est pas imagerie et reproduction imitative du monde; pas une empreinte photographique, mais la projection d’un univers mental : le concentré d’une perception personnelle de ce qui est autour de nous, et de ce qui y importe. En conséquence de quoi, les objets dont Florence remplit ses peintures sont réduits à leur quintessence : leur consistance picturale est d’autant plus forte que leur apparence est  éloignée du réel qui leur a donné, lointainement, naissance.

 

Il n’est pas certain que ce soit rendre service à un artiste que de révéler chacune des occasions qui le meuvent et se reflètent dans ses œuvres. Le propre d’un bon tableau est de donner à celui qui le regarde le loisir de s’approprier ce qui est peint : élucider les motifs reviendrait à réduire le champ des réceptions possibles, donc à empêcher l’empathie. On remarquera sans donc pousser trop avant, qu’un petit nombre d’objets reviennent avec insistance dans les toiles de Reymond, et que les récurrences relèvent de deux univers mentaux, dont il est probable qu’ils sont à ses yeux d’une importance égale.

D’une part, il y a ce qu’on peut appeler les “traits d’enfance”. Ce sont quelquefois des objets : ainsi le Pinocchio qui se dresse dans le polyptyque jaune (sa silhouette de pantin géant fait penser à la femme, trop grande pour la toile, de la Dérision de Job de Georges de la Tour). Plus souvent, la référence correspond à un mode de faire. Réminiscences des dessins enfantins ou plus que réminiscences (le mot “emprunt” serait davantage approprié), un sapin de Noël aux branches relevées à leur extrémité, de vagues plantes grasses aux feuilles évasées, des étendues d’eau ou des morceaux de pré recouverts d’un grillage qui peut être une barrière ; et puis ces bordures décoratives, les lignes droites reprises de bouclettes, exercices d’écriture pour classes maternelles, embryons de cadres décoratifs ou, selon les cas, assises terrestres ou amorces de ciel, dans un langage graphique qui est ou serait puéril.

D’autre part, des suggestions venues d’un ou de plusieurs ailleurs géographiques habitent ces peintures. L’Asie fréquemment, l’Afrique un peu moins souvent, et tel site dans l’est de l’Europe, s’y croisent et s’y mêlent. Aucune volonté d’étrangeté, dans tout cela, et une expérience personnelle réduite à un souvenir visuel et auditif fort, celui de fêtes colorées et bruyantes en Inde. Davantage, le résultat d’une inquiétude dont la trace se décèle dans les conversations qu’on peut avoir avec l’artiste. Que voit-on en effet dans les tableaux ? Une forme pyramidale s’y retrouve régulièrement. Quelquefois, il s’agit d’une montagne : elle a la teinte et la texture de la terre. La montagne peut prendre la couleur du beurre : on songe à ces mottes de graisse, offrandes au dieu ou aux dieux dans les temples bouddhistes ou hindouistes. D’autre fois, des pierres sont empilées les unes sur les autres : c’est aux arrangements de cailloux construits par les marcheurs en l’honneur des esprits des hauteurs que l’on pense. Plus souvent, le bas des montagnes, mottes ou kerns, s’évase en une sorte de bol. On reconnaît un temple, stupa gigantesque ou réplique miniature et de nouveau offrande. Il peut arriver encore que la construction pyramidale soit un grenier : la resserre à grains des pays au sud du Sahara. Dans plusieurs tableaux, ces montagnes, ces temples, ces greniers, s’ornent de tiges dressées, suggestions inavouées de croix, ou de suites de fanions : des drapeaux  de prières. Dans tous les cas, quoi qu’elle soit ou semble représenter, la forme pyramidale s’affirme chez Reymond comme précieuse et riche d’un sens : l’écrin de la divinité ou de ce qui permet de maintenir la vie ou le sens de la vie. Une manière de demeure ? Ou peut-être, qui sait, un ventre ; ce qui revient à dire – pour cette artiste femme - encore une maison : la plus précieuse, celle qui donne et abrite la vie.

 

Florence Reymond, on le découvre à mesure qu’on apprend à connaître son travail, segmente ses activités, c’est-à-dire tout autant, la façon dont elle travaille et celle dont elle montre son travail. Au Creux de l’Enfer, elle présente des toiles qu’elle groupe par couleurs. Ailleurs – à Paris, dans une belle exposition à Clichy – elle accroche des dessins, rien que des dessins : ils sont plus immédiatement figuratifs et ne comportent que des personnages sur le fond en réserve, sans aucune architecture, sans aucun de ces motifs, non plus, qui remplissent ses toiles et que nous nous sommes plu à décrire. Les deux types de travaux seraient-ils si distincts qu’ils ne puissent être montrés ensemble ? Dans la série graphique exposée à Clichy, dans d’autres dessins qu’elle a publiés dans la revue The Drawer (le Dessinateur), l’enfance est le sujet principal. On y voit essentiellement des petites filles, en robes à volants ou bien nues. Elles jouent à la poupée, promènent des animaux – il arrive que ce soient des rats -, s’assemblent par deux ou plus. Leurs cheveux sont peignés et ornés de rubans, leurs visages délicieux – leurs jeux obscènes et terribles. Les poupées sont décapitées, les corps puérils se font transparents et laissent voir les organes, les sexes deviennent des bouches rouges, les anatomies se métamorphosent en monstres, les rondes enfantines s’organisent autour de crucifiés et les enfants, modernes Hamlet, valsent avec des squelettes. A bien regarder les dessins, on y trouve le pantin de l’hexaptyque, et donc – avouées  - ces croix chrétiennes que Reymond se garde de compléter dans ses peintures à l’huile. La gamme chromatique est de nouveau pimpante : les roses et les bleus s’associent aux rouges et à de beaux jaunes. Illusion de joie.

Le travail de Reymond est comme sa personne. Qu’elle ait publié dans The Drawer (le Tiroir) est presque un signe. A regarder superficiellement son œuvre, on croit à des peintures sereines, faites de nostalgies d’enfance et de voyage. A parler avec la jeune femme, on perçoit une personnalité vive, passionnée de travail, éprise de sa petite fille, satisfaite d’exotisme virtuel. L’œuvre, comme la femme, sont plus profonds et complexes. L’un et l’autre ont leurs cachettes, leurs secrets : derrière la façade commode se dissimulent des inquiétudes, l’incertitude et la quête. Sur le sens de la vie, la cruauté native des êtres, la possibilité d’un sens, qui peut-être serait de l’ordre d’une transcendance.

 

The Mountain: One hundred times recommenced  

 Florence Reymond


A gestural jubilation

Paintings 2012

by Frédéric Bouglé, September 2012


The true greatness of man is his ability to appear happy when all invites him to be so. The same goes for the remnants of these opalescent clouds, changing and whimsical, with their smiling motifs under a dark sky. Florence Reymond’s paintings radiate a renewed energy; the artist is always prepared, like the mountains of the title, to repeat a hundred times the paintings of an unfinished novel.1 Culture and creativity have been with human existence since the dawn of time. There is beauty in reinventing perspective and movement; these landscapes become colorful miracles to behold.

 

On the trampoline behind the scene

The color is alive, invested by the eloquent movement of light: crimson and vermilion, emerald  and forceful green, azure and navy blue, sulfur and golden yellow, pinks, oranges, purples, shades of cream tones, sienna or dark clay, and finally, the matte black of the chalkboard and the immaculate white of the screen. Leaving the primery coat blank on some prepared surfaces—a sort of imprimatura—is similar to playing at the blackboard or on the white canvas, the primary colors coming alive on the bouncing background.

 

A memory pierced with an abundance of white

In response to rediscovered family photographs, Florence Reymond began producing “imaginary” paintings with an aura of strangely enchanted trauma, a “carollian dimension” as described by Philippe Piguet.2 Fabricating personal stories in reconciliation with the past commits one to building an identity, even if the truth is projected and the memory is pierced with white.

 

The color of modeling clay

In this recent series, the intention is serene while the pictorial matter is elaborate. The pigment resembles clay, sometimes brushed and cut, sometimes muddy and played with. Elsewhere, like a discussion on paint volume, it will accomplish its design, opacify a shadow in the background wash. The background, if one is necessary, is coated in parceled layers, leaving rather square superimposed traces like leaves unevenly piled by a hasty goldbeater. The result is a kind of high and abstract spatial configuration, topographic—calling for circumambulatory sight—on which the principle subjects are set. Certain motifs in mandorla, mandala or sfumato,3 emit a peripheral wave, a reserve that is in symmetry. If the painter models a form with the tip of her brush and the prowess of lines, it is to address the constituent nature of the object when—a contrario, likewise a masterful Desgrandchamps—the collapsing content endlessly unveils its background.

 

Nature deified

But let us examine the foreground, the landscape’s displayed qualities. Here are spread this year’s motifs: mounds, chortens, bulbs, bells, tumuli, trees, huts, houses, domes, tents, terraces, mountains; all ornamental and abstract figures. These subjects are delivered without perspective, or inversed, with a wink to David Hockney. As in Egyptian perspective, the size of the figures indicates above all their assigned importance. In this hybrid geomancy Nature’s forms are elevated to the ranks of the totem or deity. Vegetable, mineral, or ithyphallic, the subject addresses a rococo aesthetic, paying tribute to ornamentation, overlapping techniques and media, reorganizing deep rooted mental structures.

 

Stanza, antistanza, epode: The oxymoron of pattern

This landscape dotted with silent signs, does it speak of the same space as its intention? Like a Per Kirkeby, its liaisons suggest an oxymoron with stylistic patterns. Its triple-phased reading, between subject, tone, and background, requires an interpretation of shifting time. The particularity of this work—whose vocabulary is painted in stanzas, antistanzas and epodes—is its ability to radiate variable light and sensation depending on its orientation. Deciphering the layered meanings requires an overturning of conventional perception. Like the page of a puzzle book with multiple meanings, the words are ideograms, known and unknown. Each painting contains its Gordian knot, with no Alexander there to solve it. Indeed! Each work is an enigma, always somewhat disturbing and overflowing. There is a screen of realism— the description of a frayed landscape—but also the invocation of a wild escaping dream. Even though the mind retains an imaged coherency that is harmonious and rational, another, proportionally incoherent, demands a second introspection.

 

When the world comes to us

Here the world does not take flight as if angry with us. This is not an Euclidean perspective offering all to the supreme eye. Florence Reymond installs her surprising setting of a world that isn’t leaving us, but instead is coming to us. It arrives—staggering, splitting and deforming itself into bent silhouettes and tinted shadows. Like Jean-Michel Basquiat, Georg Baselitz, and Sigmar Polke, the universe is reconstituted in a structured grid specific to an individual in response to an historical analysis as well as a present, urban world. In these paintings the world is translated into an equation of multi-dimensional approaches, applying itself to a convergence of planar geometries with a spatial equivalence for heaven, earth, or mountain.

 

Rock and time

The fir green painted landscape cuts out jagged manes of evergreen foliage, while the impastoed mountain pass splinters into separate surfaces. Petrified rock, like the ancient monument to abbot Delille, confirms the indestructible permanence of art in its duration.4 Stone is laid (Stolperstein), raised (menhir) as a stele, a statue, or a monument to be sustainable over time. Thiers 2012 is the title of the large triptych on the ground floor. Like all the paintings of the exhibition, it echoes the troglodytic nature of the Creux de l’Enfer, especially the rock the building leans against. Rock is ever present among pagan legends and religious faith, social history, and the phantom of George Sand. But Florence Reymond shies away from narrative, illuding it via a purely geometrical form by patterning the frieze and “defrizzing” the pattern. Just like a chromatic pitch fork—a palette of colors, an abstract geometrical figure narrowed to a square—stamps its mark onto the pictoral pulp of the canvas. This intersection creates a wild/tame expressive dynamic, between simplified and elaborate, pictogram and scribblings, spontaneous and meditated, chaotic and strict. One of the peculiarities of this work is its ability to develop a unique sign language for a contrasting dialectic. When Matt Mullican combines colors and patterns the reasons are strictly defined.5 Florence Reymond’s signs appear in a more syncopated range, sometimes primitive and compulsive—defiling—recalling the strokes of Gérard Gasiorowski’s rebellious paintbrush.

 

 

Primacy of movement: Laced bridle band

The random dynamic motif of the lace martingale in the friezes of Florence Reymond’s paintings, according to the artist, reproduces the “bridges” drawing exercise used to teach children to limber up the wrist.6  This equation of writing through movement also preempts its intellectual approach. Emotion causes reflection, and emotion is determined by the formal aspect; the process of painting is brought about by movement—emotionless, mindlessly. The painting is a physical act regardless of its format. Here is the primacy of movement, the movement that releases language and thought.

 

The great story leads back to the frieze: Festoons of m’s and n’s

Great indeed is the story of the frieze, as in the cornice décor of The Last Supper by Leonardo da Vinci. Invariably Florence Reymond uses this ornamental motif repeated in a festoon of  m’s and n’s parading either at the bottom or the top. If it isn’t the square dance of their little curled feet, it could be drawings of arches repeated on the entire periphery of the painting. This alphabet also brings to mind the decorative valance, the “lace front” of the traditional Creole habitat or Russian dacha hung on the edges of roofs, doors and windows, to keep the rain out. We know that painting is a window onto the world, gleaning from what is created by many cultures spanning through all times. We find this “bridle frieze” applied in carpentry, upholstery, sewing, and embroidery often to conceal the unsightly. It symbolizes a general mathematical aesthetic that presides over a function, and for the artist, the presence of ornamental art deployed in its full dimension.

 

“And Christ? — He was an anarchist that succeeded. He was the only one.”

 Man’s Hope, André Malraux, 1937 [Ximenes questioning Puig]

 

Florence Reymond’s scalloped frieze, like all friezes employed in monumental decoration since ancient times, answers to a mathematical order. An invariant drawing progresses in approximate symmetry, its translation running in one direction. The motif prances amidst more figurative bits of prevailing festive enchantments like pennants, lanterns, gold, and silver medals, tricolour ribbons, colored darchens. But what do we see in these colorful networks? Wiring or stray yarn? Tangled electrical circuits? And that cross there? Does it refer to the forgotten Creux de l’Enfer cross at the top of Saint-Genes rock? The painting produces and distributes its network of oracular conveyors and historical interlacings, a family of a priori physically unrelated scenes, but with a crystallographic medium. Sometimes we find erring on the surface of the painting torn fragments of pictorial patterns and scraps of mesh as if they were floating on waves.

 

 From sacred art to crafts

Some works take inspiration from the boucharouette carpet made with various leftover threads by Berber women. The decorative figures of this folk art of weaving and mixing materials would be familiar to Paul Klee and Jackson Pollock. Florence Reymond’s sensitivity to the sacred and popular arts from all over the world can be found in relatively evocative models such as tormas (ritual Buddhist cakes), mantras, cairns (Scotland, Corsica, Brittany, North America), grotesque masks, stupas (India and Tibet). Its iconographic references are gathered from the flowers and flavors of universal beliefs and creations, the hive7 and the sacred are not insignificant.

 

A human ritual, in the palm of a hand

Here there are no faded greens or drenched colors, the art takes its breath born from fresh colors. The work of Florence Reymond rejects all nihilism of exclusion and involves horizontalism, verticalism and rotational movement. Based on the principle of equivalence, she draws from an inventory of beginnings: tradition and the historical avant-garde. There is nothing romantic or egocentric, nothing uniting with nature, and man is not at its center. He is even almost absent; what nature aesthetically produces only lies in its understanding. Often brazen and shameless, painting works with spontaneous language, skipping stages. The artist offers a holistic view of the landscape in jagged pine branch strokes. Life is carved out of laminated light and overlaps in woody masses, flowers and earthy surfaces. It perpetuates pure joy in simply creating binary patterns, even in a dead tree’s dry, stretching arm. The eye is amused by its retinal persistence, the echo of bouncing shapes, its fragmented colorful patchwork surface on a background of knowing strokes. Within the mystery of her jubilation, Florence Reymond demonstrates that the art of painting corresponds to a tradition, a ritual of man, a gesture still held in the palm of one’s hand.

 

 

1. As in The Analogous Mountain, René Daumal’s unfinished novel about the mysterious reality of a mountain, of high symbolic value, which is unreachable. Traditions and ancient religions are mentioned. The last chapter’s title would have been: “And you, what do you search for? ”

2. Boris Cyrulnik in Autobiography of a Scarecrow wrote “Facing loss, adversity, and suffering that we all experience at one time or another in our lives, several strategies are possible: either to abandon oneself to suffering and undertake a victim’s career or do something to transcend suffering.” Let us also take note that the rediscovery of one’s childhood provokes confusing feelings, as expressed by Anne Malherbe: in Painting: Incarnation and Dissolution. In the chapter on Florence Reymond she writes: “The world of childhood, drawn from the darkness appears in masquerade attire. But behind the magic lanterns, Goyan images of barbarism are the content of the grotesque scene that the memory alone can not identify. Disparate motifs—childish drawings, Bambi, Manet’s asparagus—are symbolic detours taken by the conscious mind in an attempt to measure what it is obsessed by.” We can also learn from the writing of Philippe Piguet, Painting: a perennial and vivacious trend. [Foundation Solomon Catalogue Painting(s), Génération 70, 2007]

3. Sfumato means smoky evanescence deriving from the Italian fumo (smoke). A Leonardo da Vinci painting technique that he describes as “without lines or edges, like smoke or beyond the focal plane.” It is a dreamy effect obtained by the overlapping of several extremely delicate layers of paint, which produces an imprecise contour. [wikipedia]

4. In reference to the abbot Delille, an inscription on a rock in the sculpture park of La Garenne-Lemot in Clisson, Vendée. Its indestructible mass exhausted time. In 1993 Michelangelo Pistoletto deposits in the bed of the Durolle—the raging torrent at the foot of the Thiers art center—Il Art Segno (a Sign of Art initiated in 1976, a sculpture made out of a large piece of Volvic lava in the shape of a butterfly with metaphorical references to life). This again is crossing through time.

 5. The lexicon of signs created by Matt Mullican which organizes society in reinvented worlds. The colors associated with symbolic designs refer to his five fundamental notions: green evokes essential things, red for spiritual values​​, yellow is the conscious manifestations of the arts and sciences, blue the mysteries of the unconscious, black is for language. These pictograms assembled on different substraits (stone slabs, flags and banners, stained glass compositions or computer-assisted drawings) are a view of the world. Their combinations create abstract tables or “models of cosmology” that recombine and rearrange reality. Using a personal classification system, the artist imagines cities and universal maps simulating natural phenomena or the mysteries of the human being. [website Gallery Nelson, Paris]

6. Discussion with the artist, May 1, 2012 in her studio in Paris, in front of the completed paintings and those in process for the Thiers exposition.

7. The Beehive [La Ruche] validates a powerful metaphor in artistic creation. The sculptor Alfred Boucher (1850-1934) founded this modern art art center located in the fifteenth district of Paris in 1902, who compared artists to bees buzzing in their activity. For Joseph Beuys, the bee’s wax manufacturing is the symbol par excellence for social art (sozial Plastik). Fabrice Hyber, with Bee Hive (1988), sought to make visible the idea of ​​crossing values, by substituting flies for bees in a hive. More recently, in Untilled (2012) for Documenta 13, Pierre Huyghe focused on bees in his search for a biological form of creation. In October 2012 at Gallery Xippas, Céleste Boursier-Mougenot diverts and mixes live sounds captured in an active beehive, with the participation of gallery visitors. And focusing on design Slovak Tomas Libertiny, with his work Honeycomb Vase, engages bees over a one week period to build a vase-shaped beehive with a beautiful honeycomb-like structure.

 

Philippe Piguet

L'Oeil

2010

Florence Reymond

Un premier plan de fleurs traitées avec un précisionnisme appuyé, un deuxième occupé par une saynète aux allures familiales et un troisième qui fait office de décor montrant un paysage varié dans lequel prend place tout un lot de réminiscences historiques.

L’art de Florence Reymond se plait à accumuler les références comme si chacun de ses tableaux se voulait une énigme. Et il en est bien ainsi. Sa peinture ne raconte pas une histoire, elle en accumule une quantité, mêlant souvenirs d’enfance et obsessions picturales dans des compositions dont les effets de transparence et de dilution déterminent un monde proprement impalpable.

Quelque chose d’un paradis perdu est à l’œuvre dans le travail de Florence Reymond  qui lui confère une dimension » carrollienne ».Tout y est traité sur le mode du palimpseste dans un télescopage d’images dont les sens s’entremêlent pour en produire un, inédit et innommable. Il y va tout aussi bien du monumental que du rapetissé du proche que du lointain, du citationnel que du fictionnel. Comme s’il n’était d’autre façon possible pour dire la mémoire.

            L’art de Florence Reymond en appelle à un espace mental qui, s’il s’appuie sur toutes sortes d’images glanées ici et là, n’en demeure pas moins imaginaire. C’est le brassage de celles-ci qui pousse l’artiste à la révélation de son propre monde, lequel ne manque pas de nous happer, voire de nous envahir, tant il est séducteur et inquiétant, étrange et familier.

Alexandra Fau

Backyards funerals,

Galerie Iragui, Moscou.

2010

"Dans sa dernière série, Florence Reymond opère une sorte de friction entre les époques. Le thème des gisants lui permet de réactiver une esthétique médiévale qui ne serait plus que l’ombre d’elle-même. L’absence de contact physique avec la dépouille entretient aujourd’hui une forme de virtualisation de la mort qui s’exprime avec la prolifération de crânes, devenus des signes parmi tant d’autres. C’est avec désinvolture que deux jeunes filles viennent chevaucher le corps du gisant (« Sans Titre», 2008). Les tableaux de gisants réduits à de simples motifs condensent ainsi la « vie et mort de l’image » évoquée par Régis Debray.

Les tableaux de Florence Reymond simulent une fausse naïveté qui peine à occulter la part d’ombre dont ils sont chargés. Si les couleurs acidulées, les détails dessinés à la craie grasse et les découpages cultivent une certaine enfance de l’art, les visages dégoulinants, effacés ou tout simplement évaporés dans les limbes des souvenirs, en appellent à l’inconscient. La surface de la toile semble capter les surgissements de la mémoire, les images qui apparaissent tels des spasmes rétiniens dans une réalité impalpable. En ce sens, les œuvres s’ancrent dans la tradition picturale des surréalistes. Ses visions mêlant des réalités différentes produisent « une vision supérieure » particulièrement grisante. André Breton ne disait-il pas « mélanger conscient et inconscient pour aboutir à une surréalité » ?

Pour l’exposition à la galerie Iragui, Florence Reymond prolonge la tension dramatique des peintures dans une installation de photographies de famille écornées ou biffées. Présentés telles des traces spectrales, les clichés cultivent le rapport qu’entretient le médium photographique avec la mort. L’installation présente la face cachée d’un récit autobiographique qui hante la peinture de l’artiste depuis ses toutes premières toiles. Les personnages y étaient désincarnés, les visages lavés du trop plein de la mémoire."

The Invisible Child

Céline Vanden Bossche

Les peintures de FR, depuis un moment nous dépasse avec ce qu’il faut, provocatrice toujours, la toile est devenue progressivement le lieu de tous les fantasmes de tout le monde, partageuse, l’artiste peintre ne délire plus toute seule sur sa famille, en a fini avec ses propres projections, nous les laisse, tiens. Les sujets sont cernés, la surface brossée est de plus en plus fluo, les jouets en matière plastique pour enfants rejoignent le panthéon des pures couleurs du design année 60’, gadgets et peluches, figures et paysages se kitchisent, c’est un régal. Entre le warholien Orange Car Crash, de la série de sérigraphies sur toile d’accidents de voitures, et la peinture maniériste de l’italien du XVIe, auteur des portraits de fruits, végétaux et animaux, notre ego zigzague. FR délire enfin sur le monde, ses archives photographiques personnelles deviennent ce fond d’images média pour « trafic de signes », échange une photo d’une séance de lévitation, et la statue de pierre contre un gisant. S’offre une érection de coucher de soleil sans rapport, séparé de sa tribu le congaceiros, la propagande guerrière qu’il symbolait dégouline, son costume de conquérant ne peut qu’illustrer le moment de la césure, les filles flirtent avec le Christ, et devant tant de séduction, la trompe de l’éléphant voit rose. La toile recueille d’impossibles scénarios, et en prend acte. J’ai tué mon père, j’ai mangé de la chair humaine, et je tremble de joie, non, le monde merveilleux n’existe pas, le style est lâché, l’idée est récurrente dans la toile, le fantasme est d’abord objet de connaissance, non, FR ne consomme pas pour autant les amours interdites, ni ne viole les règles. Le réel apparaît comme l’agent provocateur, déclenche les fantasmes, nous les offre en  peinture, c’est déjà ça, la trilogie- séduction, scène primitive et castration- se trouve matérialisée et recadrée, l’accélération pop, rock et psy, vous la sentez venir, oui. Pour y faire écho, le pur film de Pasolini, Théorème, le cinéaste également partageur, fait entrer un personnage mystérieux dans une famille qui entretient des rapports sexuels avec chacun des membres, changeant radicalement leur vie, fournit au film le fantasme qu’il faut, pose l’acte charnel, transcende les lois spirituelles. L’intention théorique peut nous distancier de nos propres pulsions, soit, y a des lieux faits pour ça, la toile en est un. Carrée, iconoclaste au premier coup d’œil, la peinture de FR est en réalité jouissive et sale, lieu de passions, rédemptrice et traitre, elle recolle les morceaux d’une réalité devenue le contour d’elle-même, se place entre quelque chose d’inavouable et ce que le sujet peut en comprendre. Elle n’a plus peur de l’inconscient, partageuse, elle nous le laisse. Rien de plus normal pour l’instant, sauf qu’au final ressurgissent des bribes sauvages, nos yeux matent les majorettes, le déjeuner sur l’herbe référence picturale incontournable, côtoie Oedipe, en cadeau et punition les yeux ensanglantés, l’homme arrive en référence cinématographique, le rêve du maître nageur, on préfère ne pas le connaître, ou plus tard. L’exposition Chaos, rêverie et somnifères, est un plaisir romanesque, là où la jouissance est absurde.

Qui a dit qu’il n’y a pas de rapport entre les sexes déjà? 

 

Philippe Piguet

2008

« La peinture est le lieu de la reconstitution », dit Florence Reymond. Sans doute faut-il l’entendre plutôt comme celui de la « reconstruction ». Tel qu’on dit d’un individu qu’il se reconstruit. De fait, chez elle, tout est question d’une mémoire enfouie et d’une enfance oblitérée qu’un beau jour, les hasards de la vie vont lui permettre de ramener à la surface. Si elle ne se reconnaît pas vraiment dans toutes les diapositives de famille sur lesquelles elle a mis la main, elle décide toutefois de s’en servir comme motifs de sa peinture. Elle ne se contente pas de rameuter ce réel stocké et fossilisé dans la matière translucide de la pellicule photo, elle mêle, le maille, l’intrique au présent en surface de ses tableaux dans ses compositions aux allures de puzzles innommables.

Le monde de l’enfance sur lequel elle s’appuie lui permet de jouer d’une iconographie qui conjugue innocence festive, regards émerveillés et cruelle insouciance à toutes sortes de références en relation avec l’histoire de l’art. Chez Florence Reymond , la peinture est affaire de réminiscence pour ce que celle-ci peut être considérée comme « l’ombre du souvenir », comme le dit le moraliste joseph Joubert. De fait, tout y est chez elle comme un théâtre d’ombres en plein jour et c’est finalement à la révélation de sa propre mémoire que Florence Reymond assiste dès lors qu’elle se met à peindre. Surgissent alors sur sa toile tous les fantômes qui l’ont hantée et tous ceux qui la poursuivent, souvenirs d’enfance et d’obsessions picturales traités à la même enseigne.

Anne Malherbe

Sens et emprise de l’image

Les artistes, aujourd’hui, sont des recycleurs d’images. Ils se tiennent quelque part à un point du grand flux général des images et y puisent chacun selon sa technique propre : en utilisant de vieilles photographies de famille (Florence Reymond), en fouillant dans son imaginaire personnel (Iris Levasseur), en recourrant à l’illustration scientifique (Duvier del Dago), en empruntant à l’inconscient collectif (Cathy Cat-Rastler), en alliant l’intime au cosmique (Laurent Pernot), en mêlant l’histoire de l’art, la science-fiction et l’actualité (Olivier Passieux). Quel que soit le moyen, l’image est leur matériau initial, à la fois inévitable et indispensable.

 

Ces images ne sont jamais des fins en soi. Ce ne sont pas des objets destinés à être remployés ou reproduits pour leur caractère esthétique ou pour leur interprétation codifiée — il ne s’agit pas, comme dans les natures mortes du XVIIe s. hollandais, de montrer une poignée de noix fendues en deux pour signifier la présence de la mort. Ou si ce peut être le cas, tel n’est pas leur trait distinctif. Ces images sont en effet essentiellement transparentes. Dépourvues de tout caractère substantiel, elles annoncent une signification métaphorique qui refuse d’être fixée, évoluant au gré de son contexte comme des références personnelles du celui qui regarde ; elles ne sont pas non plus entièrement traduisibles en mots car elles demandent à être perçues dans leurs propriétés sensibles, qui tissent, entre chacune, d’infinies correspondances. Il n’existe pas non plus de hiérarchies : elles ne construisent pas un système ni ne forment un vocabulaire ou ne composent une phrase. Mouvantes, ces images nous incitent à glisser de l’une à l’autre, faisant ainsi de l’œuvre un objet définitivement ouvert.

A travers les transparences de l’huile, Florence Reymond laisse deviner différents niveaux de sens. Si la composition générale de ses toiles est fondée sur des photographies de son enfance récemment retrouvées, s’y insèrent aussi des motifs empruntés à Manet, des scènes de torture provenant de Goya, et d’étranges enfants masqués en Pinocchio. La transparence se substitue à la profondeur spatiale pour guider le regard d’épaisseur en épaisseur.

Cette transparence correspond aussi à l’état jamais fixe des images, ainsi lorsqu’il est question d’« objet transitionnel », expression avec laquelle Cathy Cat-Rastler décrit les sujets de ses séries photographiques. La Traban, voiture légendaire de l’Allemagne de l’Est, en est un par excellence. Le cadrage des photographies ne laisse pas toujours voir la voiture, celle-ci servant de passerelle vers autre chose : dans Traby vision, le regard est conduit sur la banquette arrière, où gisent des têtes de mannequins, un masque, l’étui en cuir d’un Leika. Le visage d’un enfant, reflété dans le rétroviseur, incite à considérer ces objets comme pris dans le mouvement continu du fantasme.

 

D’un mur à un autre, Duvier del Dago tend des fils entre lesquels il tisse la représentation d’un être ou d’un objet. Composant une œuvre transparente, dont le statut hésite entre dessin et sculpture, les fils insèrent dans l’espace une figure virtuelle qui se tient en équilibre entre matérialisation et disparition totale.

Cette condition intermédiaire fait de l’œuvre l’expression d’un passage. La réalité des choses n’est pas figée, mais se situe au moment où tout, encore, est possible. Le choix des motifs n’est jamais anodin : femme allongée, cœur humain, ou enfant encore en gestation, expriment le désir et l’attente.

Les artistes construisent ainsi leurs œuvres non pas en vertu d’un schéma intellectuel préétabli, mais en fonction de poussées beaucoup plus souterraines, d’inquiétudes et de recherches aussi inconscientes que lumineuses. On se situe dans le temps d’une histoire en mouvement dont les tenants et les aboutissants ne nous sont pas connus.

Les peintures d’Olivier Passieux en sont un témoignage saisissant. Dans Jardin des délices, des personnages se croisent, glissant plus qu’ils ne marchent, apparemment dépourvus de but. La technique que le peintre emploie dans plusieurs de ses œuvres accentue l’effet de flottement. Les motifs prennent place en effet dans un espace traité de manière contradictoire, tantôt en profondeur, tantôt en deux dimensions. Les compositions sont souvent violemment rythmées, tandis que se dégagent aussi des échappées. Les zones de saturation côtoient des zones où sont mises à nu les couches inférieures. La lecture linéaire de l’œuvre est ainsi interdite. Les personnages et les motifs sont à la fois pris dans une narration et accrochés à la surface de la toile.

La sensation d’être entraîné dans un mouvement dont on n’est pas maître préside au travail de Laurent Pernot. Dans sa vidéo Des lendemains radieux, un enfant se tient debout devant un vaste paysage, tandis que le vent caresse légèrement ses cheveux. Les paysages se succèdent dans une scansion majestueuse : nature sauvage, cosmos et, finalement, grande ville contemporaine. Le lien qui unit l’homme à la nature lui est à la fois sensible et incompréhensible. L’homme possède une place dont il n’est pas capable de mesurer l’importance, même s’il sait transformer la nature autant que celle-ci le domine. Les vidéos de Laurent Pernot rendent perceptible ce flux du temps et du changement qui interdisent à l’homme toute maîtrise définitive.

 

Passage, changements et flux se produisent sans qu’aucune direction ni aucun but ne se distinguent clairement. Nous percevons aujourd’hui les choses sur le mode du réseau et de la relation, bien plus que sur celui de la signification ultime. Quelle est la source du sens et quel est son aboutissement ? Telle est la question que semble poser Gange, peinture d’Iris Levasseur où l’on voit Alice au Pays des Merveilles, silhouette sombre qui avance les yeux bandés, comme dans un jeu de colin-maillard. Dans la partie inférieure de la toile est allongé un homme enturbanné, figure colorée du Gange. La fillette, issue du monde occidental, aura beau tâtonner, ses mains n’atteindront jamais la source vivante, venue d’Orient, qui gît sous ses pieds.

Notre compréhension du monde est trouée de lacunes, comme le sont aussi les peintures d’Iris Levasseur et celles de Florence Reymond. Dans le premier cas, les zones blanches à peine recouvertes de glacis fluides séparent les motifs autant qu’elles leur servent de liquide conducteur et de zones d’échange. Le regard passe d’un motif à l’autre comme il enfile les perles d’un collier ou une chaîne de molécules (motif récurrent dans les peintures de l’artiste). Chez Florence Reymond, les lacunes sont celles de la mémoire. Privée de sa profondeur temporelle, la conscience reconstruit les morceaux comme un puzzle, attendant d’eux qu’ils lui révèlent autant sur le passé que sur le présent.

Les directions, s’il y en a, sont plutôt de l’ordre du magnétisme terrestre ou de forces invisibles. Dans Féérie, d’Olivier Passieux, des jeunes gens se battent. Seul se montre l’un des groupes d’adversaires : l’autre, s’il existe, est hors champs, si bien que les combattants paraissent ici guidés non par un but précis mais par une violence qui les contraint. Le ciel rouge, dont la facture semble parcheminée, pèse sur la composition, tandis que sur le devant du tableau, en bas, une bande blanche suggère un état d’apesanteur. La gravité terrestre est inversée. Il faut compter avec des puissances d’attraction étrangères aux calculs scientifiques.

Un enfant joue sagement avec des Trabans miniatures tandis que, par derrière, une télévision diffuse des images de violence. Soudain l’enfant se lève, se dirige vers le vide-ordures et y jette les Trabans. La dernière image le montre allumant un briquet, avant que l’image ne prenne feu. Cette vidéo de Cathy Cat-Rastler souligne le lien mystérieux qui existe entre l’individu et l’histoire collective, comme les raccourcis inattendus entre les intentions conscientes et les fantasmes : par quoi sommes-nous mus ?

Mais cette dépossession de soi-même n’est pas toujours angoissante. Elle peut aussi signifier l’ouverture maximale à l’autre. Laurent Pernot le démontre avec Confusion, vidéo dans laquelle un corps nu est surmonté d’une multitude de visages semblables à des bulles légères. Ces visages sont ceux des personnalités qu’on nous prête — ou que nous empruntons nous-mêmes. L’être unifié n’existe pas : entre les êtres les visages s’échangent, les individus sont prix dans un flux qui les lient les uns aux autres.

 

Cohabitation et (souvent) contradiction : ainsi peut-on décrire la façon dont les images existent dans les œuvres. L’artiste, qui voit aujourd’hui arriver entre ses mains des images privées de hiérarchie, les fait vivre selon ce que Florence Reymond appelle une « logique pulsionnelle ». Ces images, ce sont des fragments de nous-mêmes et d’autrui. Elles appartiennent à un inconscient, une mémoire, un imaginaire qui nous est à la fois familier et étrange. L’artiste en dégage la puissance évocatrice, les charge de virtualités nouvelles, les inscrit dans un courant : les conséquences des forces qu’elles libèrent, ensuite, appartiennent à une logique dont nous ne sommes plus les maîtres.

 

Anne MALHERBE

Florence Reymond

Des motifs pris à l’histoire de l’art, à la culture populaire, à des cartes postales ou à des photos de famille, composent la peinture de Florence Reymond. Ces fragments s’articulent de manières variées. Soit ils sont disposés dans l’espace en profondeur : entre eux se tient une distance qui laisse la possibilité de tendre un fil interprétatif. Soit ils s’entrechoquent, et l’interprétation devient plus ardue. Car dans ses œuvres, Florence Reymond tente de recoller les morceaux de sa propre enfance, dont elle a presque entièrement perdu le souvenir.

La logique des compositions est alors celle de la mémoire, faite de précipités comme d’espaces vides. Les souvenirs ne pouvant resurgir par eux-mêmes, l’artiste emprunte des motifs qui tentent de colmater le blanc de la mémoire.

C’est de là justement que provient l’étrangeté des œuvres : si chacune d’elles semble raconter une histoire, on ne parvient pourtant pas à avoir le sentiment que les différents éléments coexistent entre eux. L’espace qui les lie est aussi peu compact que l’espace des rêves. Et ils se juxtaposent sur le mode du rebus, voire du jeu de l’oie, car on saute de l’un à l’autre sans pouvoir résoudre l’énigme.

Et de fait, les peintures de Florence Reymond, avec des parures d’indiens, des cactus ou des corbeilles de fruits, ont, du jeu de l’oie, l’apparence plaisante et colorée Et de même que celui-ci est ponctué par une prison et un puits dont on ne sort pas sans peine, et même par la mort, les peintures sont semées d’embûches et de zones troubles : un enfant aux yeux bandés, un nez de Pinocchio, des fourrés mystérieux.

Les couleurs vives et acidulées qui les baignent et leur confèrent l’éclat de l’Eden ne suffisent pas à masquer l’inquiétant blanc qui sous-tend à chaque fois les compositions, ni les angoisses primitives, qui remontent en symboles détournés.

 

A.Malherbe

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